Après un parcours universitaire interdisciplinaire allant du grec et de l’hébreu anciens à la littérature française, en passant par la philosophie, Pascal Hämmerli se lance dans un doctorat portant sur le concept juridique de non-discrimination. Technophobe (d’obédience modérée, il a tout de même eu son premier téléphone mobile en 2003) durant de longues années, c’est lorsqu’il découvre Apple que Pascal Hämmerli commence à se plonger dans les méandres de l’informatique. « Si j’ai réussi à apprendre le grec ancien durant mes études universitaires, je dois pouvoir apprendre les langages du web, comme le HTML, le CSS et le PHP avec un peu d’acharnement » se dit-il. C’est lors d’un séjour prolongé à New-York qu’il se spécialise dans le référencement naturel et qu’il apprend et développe une stratégie qu’il appelle SEO Content Marketing. À son retour en Suisse en 2012, il fonde Présence internet, sa propre entreprise, afin de proposer ce qu’il a découvert aux États-Unis en l’adaptant aux spécificités de la Suisse romande. « L’écrit demeure le cœur du web, le cœur du pouvoir de transmettre » répète-t-il souvent. En 2018, il fonde Ethos Digital avec Raphaël Italiano, une structure qui aide les entreprises suisses romandes dans leur transition digitale.
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En quoi consiste ton métier ?
Aider les entreprises à augmenter leur chiffre d’affaire en utilisant internet comme un outil de marketing.
Ta journée de consultant d’hier ?
Je me lève tôt et je bois un café. Ensuite, j’attends quelques minutes pour que la caféine puisse agir sur mon système nerveux central et sortir de leur léthargie pathétique une série suffisante de neurones pour me permettre de commencer à penser.
Un peu plus tard, je prends le train en direction de Fribourg. Depuis la gare de la capitale cantonale, je m’élance sur le boulevard de Pérolles, sur lequel, après une marche de 120 mètres, je m’arrête au café du cinéma Rex, un lieu calme et agréable, où la serveuse m’apporte un café sans même me demander ce que je veux — parce qu’elle sait que je suis caféinomane. Je mets mon iPhone en flight mode et consacre les deux heures qui suivent à l’écriture…
Durant la première heure, je travaille à ma thèse de doctorat, qui concerne le droit européen et la philosophie politique. C’est la première heure de la journée, la meilleure en termes de productivité et concentration.
Commence alors ma journée de consultant web. Je suis toujours assis dans le café du Rex, mon MacBook Pro ouvert sur la table, et je consacre l’heure suivante à écrire pour mon blog. Je n’ai pas de rythme éditorial régulier (j’ai essayé, mais sans succès). J’écris tous les jours et lorsque j’ai terminé un article, je le publie et je fais un tour sur LinkedIn pour en parler un peu. Créer un contenu de qualité ciblé sur des mots-clefs choisis avec soin est le fondement de ce que j’appelle le SEO Content Marketing. C’est la stratégie de visibilité la plus puissante qui existe sur le web.
Il est maintenant environ 9h30 ou 10 heures du matin et je sors de mon café, parcours les quelques pas qui me séparent de mon bureau, sis au boulevard de Pérolles 32, en me disant que le plus important pour cette journée, écrire, est fait.
Je m’installe à mon bureau, allume mon écran externe 72” (je plaisante, il fait 23”) et je me plonge, pour les 3-4 heures qui suivent, sur le travail que j’ai à faire pour mes clients actifs, de sorte à assurer que je génère un minimum de chiffre d’affaire chaque jour. Sans ce focus sur le cash-flow, la vie d’un indépendant est vouée aux abysses de la misère économique, ce qui n’est pas une stratégie à long terme envisageable pour le père de tribu grandissante que je suis. Mon iPhone est toujours hors-réseau pour que je puisse travailler sans interruption et me concentrer. Concrètement, je vais peut-être me plonger dans du développement CSS pour travailler sur la charte graphique — responsive ! — d’un site web ou sur des analyses SEO pour un client qui veut travailler sur la visibilité de son site web sur Google.
Précisément hier — je mentionne le terme pour montrer que je n’ai pas complètement oublié la question qui m’est posée — j’ai passé 3 heures avec une cliente pour la former à l’utilisation de WordPress afin qu’elle puisse gérer elle-même la mise à jour et le développement des contenus de son site web. En début d’après-midi, j’ai fait un travail de journaliste, harcelant de questions un nouveau client qui veut que je rédige les textes-clefs de sa nouvelle homepage. Mes heures facturables pour cette journée de hier étaient de 4.3 heures, ce qui me fait un chiffre d’affaire théorique de 430 Fr. (je vous laisse calculer mon taux horaire, cela ne devrait pas être trop complexe). Ce qui est important pour un consultant ou un web designer, c’est de gagner de l’argent tous les jours. Même si certains jours les entrées générées sont seulement de 200 Fr, c’est important qu’il y ait un seuil, un minimum. Ce qui m’amène à l’étape suivante de la journée.
Après une pause de midi où je mange une salade tricolore de la Coop (avec du fromage, du pain et du lard, pour les jours fastes) en regardant l’une ou l’autre vidéo sur YouTube, je consacre quelques instants à faire le suivi des prospects avec qui je suis en contact. Étant donné que c’est important de constamment avoir des contrats ouverts avec des heures facturables à faire chaque jour, c’est fondamental de faire un suivi sérieux des possibilités de générer des nouveaux contrats. Mes prospects viennent essentiellement de rencontres d’entrepreneurs auxquelles je participe, de bouche-à-oreille et de mon site web.
À ce moment-là il est environ 16 heures ou 17 heures (si tout va bien) et je consacre maximum une heure pour ce que j’appelle la clarification quotidienne — un concept emprunté à la méthodologie Getting Things Done. C’est un moment où j’entre en mode productivité administrative. Les tâches administratives demandent une concentration moins grande que le travail de création (l’écriture le matin) ou que le développement web et autres analyses SEO. C’est pourquoi je fais cela le plus tard possible dans la journée. Si je m’amuse à ouvrir ma boîte e-mail avant la fin d’après-midi, elle se transforme en boîte de pandore : c’est le meilleur moyen de ne rien faire de significatif durant une journée de travail. Le mieux, selon mon expérience, est de vérifier ma boîte e-mail en mode process une fois par jour. J’ai un téléphone (que j’allume tout de même l’après-midi :-)) pour les urgences.
Voici mon processus de clarification quotidienne :
- Collecter tout ce qui n’est pas à sa place dans mon bureau (documents, lettres, post-it, câbles et autres adaptateurs disséminés dans mon bureau) et les mettre dans mon INBOX physique (une sorte de grand bac en plastique).
- Prendre une décision par rapport à chaque objet dans mon INBOX physique : jeter à la poubelle (mon option favorite), numériser les documents importants et les archiver dans Evernote (mon application préférée), etc. La règle de base est : faire tout ce qui prend moins de 5 minutes. Ce qui prend plus que 5 minutes va dans ma liste des tâches (aussi dans Evernote).
- Regarder et répondre à tous les messages qui sont arrivés sur mon iPhone et auxquels je n’ai pas encore répondus.
- Traiter — en mode ninja pourfendeur d’e-mail — ma boîte e-mail professionnelle jusqu’à ce qu’elle soit vide. Les e-mails qui prennent plus de 5 minutes à répondre et qui ne sont pas urgentissimes trouvent le chemin de ma liste de tâches. Je réponds aux autres de manière brève.
- Je fais un petit tour sur LinkedIn pour voir s’il y a des demandes de contacts, des messages, etc.
- Je fais tout ce qui est écrit sur une note (dans Evernote) qui s’appelle batch et qui me sert à noter rapidement, durant la journée, toutes les petites choses que je dois faire le jour même, qui me sont venues à l’esprit durant mon travail, mais que je préfère regrouper et traiter d’un seul coup à ce moment-là pour ne pas être interrompu durant les parties plus importantes de la journée.
Ensuite, je conclu ce moment de clarification quotidienne en organisant l’agenda pour le lendemain et en budgétant les plages importantes de travail (surtout la partie de travail pour les clients). J’utilise simplement Google Calendar avec un seul calendrier pour toutes mes activités professionnelles. Pour décider pour quel client je dois travailler en priorité, j’utilise un notebook dans Evernote, avec une note par client actif, ce qui me permet de prendre rapidement des décisions en fonction des deadlines des différents projets et en ayant les informations essentielles sous les yeux.
Ton truc pour résoudre les conflits/apaiser les tensions ?
Les relations humaines sont différentes dans un contexte professionnel et dans un contexte privé. Dans un contexte privé, c’est une nécessité de donner sans rien attendre en retour. Dans le contexte professionnel, c’est une nécessité de vérifier que l’autre partie est réellement prête à donner quelque chose en retour en contrepartie de mon travail.
Dans un contexte professionnel, c’est immanquable qu’il y ait une divergence d’intérêts entre mes intérêts et ceux de mes clients. C’est quelque chose de naturel. Pour mon client, ce serait mieux du point de vue de son business si je pouvais lui donner le plus de services, le plus de valeur ajoutée possible, et il me payerait le moins possible. De mon point de vue, plus je peux gagner par heure de travail, mieux c’est pour la viabilité de mon business. Ne pas vouloir comprendre ou voir cette réalité fondamentale, c’est simplement se condamner à l’aveuglement. Je travaille parce que je dois gagner de l’argent pour assumer mes responsabilités familiales et pour cette raison je dois prendre soin de vérifier que je travaille avec des clients qui sont sérieux et qui vont accomplir leur part de la collaboration, c’est-à-dire me payer. Comprendre l’aspect crucial de cette réalité fondamentale constitue l’une des différences fondamentales entre un technicien (du web ou de la charpente, qu’importe) qui s’est mis à son compte et un entrepreneur, qui prend son destin en main.
Il faut donc toujours prendre soin de clarifier les exigences réciproques dans une relation professionnelle. Il ne faut jamais partir du principe que l’autre a compris toutes les exigences et attentes qui sont tapies comme des évidences dans les recoins de mon cerveau sans avoir été explicitées. C’est à cela que servent les contrats, qui sont nécessaires. Mais le contrat n’est pas suffisant. Les points potentiels de friction doivent être clarifiés de fond en comble également par oral.
En bref, je pense que c’est fondamental, pour un indépendant, surtout lorsqu’il a besoin de faire entrer de nouveaux contrats, de ne pas sombrer dans l’optimisme quant aux intentions de ses clients potentiels qui ont un profil de mauvais payeurs ou qui pourraient ne pas être vraiment sérieux. Il ne faut pas se tromper soi-même en se disant que cela s’arrangera en cours de route. Ce n’est pas le cas.
En d’autres termes, pour apaiser les tensions, il faut anticiper sur les problèmes classiques qui apparaissent dans les relations professionnelles en étant explicite sur les conditions de la collaboration et en particulier sur tout ce qui touche l’aspect financier.
Ta plus belle expérience/anecdote ?
L’inénarrable sentiment de joie que j’ai ressenti, lorsque j’ai décidé de devenir indépendant et que j’ai pris conscience de ma liberté. Et ensuite, la joie et presque la surprise qu’un vrai être humain ait signé un contrat avec moi, mon premier contrat. Et ensuite, la joie de voir que j’avais reçu de l’argent sur mon compte en banque pour un travail que j’avais fait moi-même, que j’avais vendu moi-même, sans aucun autre intermédiaire.
Ta meilleure recommandation, et à qui ?
Pour un consultant… l’essentiel et d’apprendre et de traduire. La soif d’apprendre, la joie d’apprendre est l’un des traits de caractère les plus importants pour réussir en tant qu’entrepreneur.
Après avoir appris, il faut traduire, afin de pouvoir transmettre, rendre accessible ses compétences techniques ou analytiques à d’autres. En informatique et dans le monde du web en particulier, nous sommes toute une armée d’autistes experts en développement, en SEO, en graphisme ou en sécurité. Si nous ne savons pas communiquer aux entrepreneurs, aux chefs d’entreprises la valeur ajoutée concrète, pour eux, de notre expertise, nous sommes condamnés à l’échec économique.
Un conseil pour un jeune/nouveau consultant web ?
“Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.” — Samuel Beckett
Ton petit plaisir ?
Écouter les excellents tutoriels de lynda.com sur le CSS, le PHP, le SEO et le Business Development. Quand j’apprends, je vis. C’est l’une des grandes joies de la vie.
Que ferais-tu si tu étais plus intelligent ?
J’apprendrais une série de langages (Python, Perl, Java) de programmation et j’écrirais des softwares extrêmement utiles pour des marchés de niche constitués de personnes prêtes à dépenser de l’argent pour pouvoir utiliser les merveilleuses fonctionnalités de mes softwares. Ensuite, je les vendrais en ligne et consacrerais le reste de mon existence à des projets de recherches académiques qui m’intéressent.
Et maintenant que vas-tu faire ?
Créer une page web pour une cliente.
Le mot de la fin ?
“Most things make no difference.” — Timothy Ferriss
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A lire : l’interview de Christel Juppet, spécialiste en marketing immobilier